Shakespeare n'a jamais fait ça (Charles Bukowski)

9782363740243FS


 
J'étais en train de lire Rosa Candida quand l'inédit de Charles Bukowski, Shakespeare n'a jamais fait ça, précommandé chez mon librairie et récupéré dès le jour de sa sortie le 7 mars dernier, a commencé à me faire franchement de l’œil du haut de ma bibliothèque (enfin de mon tas de livres en attente de lecture plutôt)...
 
A ma plus grande surprise, il y a de cela sept ou huit ans, je suis en effet tombée sous le charme des Contes de la folie ordinaire et de ce vieux grincheux alcoolique, je m'en-foutiste, à l'écriture plus que bordélique, qui a le mérite de ne pas s'encombrer de fioritures stylistiques pour avoir quelque chose à dire (ou pas, selon ce que l'on considère comme "avoir quelque chose à dire"). S'en est suivi l'achat de ses œuvres complètes chez Grasset, qui n'ont fait que me conforter dans l'idée d'être face à un sacré paradoxe : comment ce vieux bonhomme, ce "vieux dégueulasse" (comme il se qualifiait lui-même) parvient-il à me séduire littérairement parlant ? J'ai longtemps cherché une réponse convaincante, en vain : désormais je m'y suis faite. 
Cette découverte de Bukowski, si paradoxale soit-elle, m'a ensuite ouvert plus largement les horizons de la contre-culture anglo-saxonne plus ou moins récente, m'amenant à des lectures passionnantes (Burroughs, Ginsberg, Welsh, Selby Jr...) ou moindres (dernièrement Burroughs Jr) qui me donnent depuis toutes ces années une autre image de la littérature, qui était pour moi, petite étudiante en fac de lettres à cette époque, un art noble et lisse, profondément romanesque en somme ! 
 
Alors forcément, après cette rencontre qui a changé ma vie de lettreuse, un inédit de Bukowski qui m'attend, sur ma fichue pile de bouquins, je n'ai pas résisté bien longtemps : ni une ni deux, j'ai lâchement déposé le roman d'Audur Ava Ólafsdóttir pour partir en Europe avec Henry Chinaski, alter ego de sieur Bukowski. Dans ce road-book autobiographique accompagné des photos de Michael Montfort (photos qui sont d'ailleurs à l'origine du roman, puisque celui-ci est une commande faite à Bukowski par son ami photographe), l'on découvre ses tribulations "touristiques" avec Linda Lee (sa future épouse), entre succession de voyages en train, de chambres d'hôtel et de soirées où le vin coule toujours à flots, mais aussi ses rencontres mémorables avec ses lecteurs européens (lectures de poèmes, séances dédicaces, émissions télé ou radio, dont son apparition dans Apostrophes qui débute le livre avec beaucoup d'humour), ou encore avec des membres de sa famille en Allemagne...
Rien de nouveau quant à la façon de raconter ce voyage, toujours aussi agréable à lire pour ma part ! Un extrait particulièrement significatif le montrera bien plus facilement que tout ce que je pourrais écrire :
 
" On est allés voir la cathédrale, ça m'a fait quelque chose, une sacrée architecture. Il pleuvotait, on est entrés, ça sentait vaguement la pisse, l'intérieur était encore plus étonnant que l'extérieur, tout montait, montait, j'en aurais presque souhaité pouvoir accepter le Dieu chrétien à la place de mes dix-sept petits dieux protecteurs, parce qu'un grand Dieu unique m'aurait aidé à traverser pas mal de saloperies, de terreurs, de douleurs, d'horreurs, ç'aurait été plus facile et peut-être même plus sensé, ça m'aurait aidé à comprendre certaines des putains avec qui j'avais vécu, certaines femmes, les boulots de merde, les non-boulots, les nuits de folie et de famine, et j'imagine que tous ceux qui ont jamais mis les pieds dans cette cathédrale ont eu certaines pensées et que certaines de ces pensées ont pu entraîner leur conversion, mais moi je me disais que si je me convertissais, si j'avais la foi, je serais obligé de laisser tomber le Diable et il se retrouverait tout seul dans les flammes, ce ne serait pas gentil de ma part parce que dans les épreuves sportives j'ai tendance à soutenir le perdant et dans les épreuves spirituelles je souffre de la même maladie, car je ne suis pas un homme de réflexion, je fonctionne aux sentiments et mes sentiments vont aux estropiés, aux torturés, aux damnés, aux égarés, non par compassion mais pas fraternité, parce que je suis l'un des leurs, perdu, paumé, indécent, minable, apeuré, lâche, injuste, avec de brefs éclairs de gentillesse; salement atteint et conscient de l'être, cette lucidité ne m'est d'aucun secours, au lieu de me guérir elle me plombe."
 
Un auteur à découvrir d'urgence, grâce à cet inédit ou grâce au reste de son œuvre, parce qu'il faut à mon sens se faire sa propre idée sur ce personnage, qu'on l'aime ou qu'on le déteste (la neutralité me semble assez difficile avec Bukowski) !
 
Un grand coup de chapeau en tout cas aux éditions 13ème Note qui, je pense, grâce à cette publication, vont davantage se faire connaître... Personnellement, comme vous avez pu le remarquer, cela fait déjà un bon petit moment que je suis cette maison d'édition de très près, et je ne regrette quasi aucune de mes lectures.
Prochainement, je me lance d'ailleurs dans la lecture d'un autre grand monsieur de la contre-culture anglo-saxonne, Dan Fante. La suite au prochain 13ème Note !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire